Si de la chute de quelques pommes, Newton déduisit la théorie de l’attraction terrestre, si des mêmes pommes, Cézanne déduisit la possibilité de faire apparaître la peinture et non ce qu’elle peint, l’artiste des hauts cantons de l'Hérault invente ce qui est plus précieux encore : la joie de vivre et une autre façon de voir, de lire nos existences. Chaque œuvre de Marie-Hélène Roger se veut donc avant tout une œuvre insouciante et heureuse. C’est là une gageure et une exception. Pour cela pas besoin d’équations plastiques. Il suffit d’exhiber des scènes sous un aspect physique. La caricature n’y est plus une critique mais une manière d’être au monde : à deux (« Ton et Tata) ou en groupes de fêtards. Mais toujours pour le partage.
Marie Hélène Roger fait coïncider le geste de créer avec la fulgurance. Dans le carré de la toile (ou plutôt sa carrée) la vie bat la chamade, elle reste dégingandée au milieu d’un ruissellement de formes et de couleurs. L’artiste croque ses charades comme elle croque la vie. Elle la bourlingue de caresses pour qu’elle craque de joie jusqu’aux criques de la côte ou dans le petit café d’en face. La créatrice fait de ses personnages à géométrie variable le signe de l’acharnement vital. Couleurs et formes débordent. On ne s’en lasse pas. Le chef d’orchestre de cette messe païenne devient la fée sans stress ni strass. Du moins c’est ainsi qu’elle veut paraître. Ses propres angoisses elle les garde par-devers elle. C’est d’une politesse rare et de la sensibilité la plus extrême. Face à ceux qui préfèrent nous assener les hautes profondeurs des houles de leur angoisse elle opte pour une autre voie qui est tout sauf un chemin de Galère. Elle nous embarque dans l’aéronef de ses vignettes pour le strip-tease non du corps mais des forces vitales.
Parfois, comme Picasso, Marie-Hélène Roger dessine les lettres. Elles écrivent des sortes de dessins. Ce qui l’amène par la bande à concevoir une forme de calligraphie où les tracés se libèrent des contraintes du signifiant et virent résolument en direction du pur dessin. Il devient la manifestation d’émotions aussi simples que primordiales. L’œuvre dans son périple devient l’immense papeterie d’un travail d’enluminures. Un travail richement illustré mais « mal » (c’est-à-dire bien) légendé pour que naisse ce qui manque tant à l’art : le rire. Un rire franc, massif, rocailleux. Pas un rire de cul pincé. Le résultat est à la fois une forme de « pastiche » mais surtout le moyen de rédiger, en une forme éclatée, une aventure humaine au lyrisme débridé, libéré du carcan de formes fixes.
Marie-Hélène Roger est donc la calligraphe et la coloriste de la vie dans tous ses états. En chaque toile est condensé ce qui tient de l’art plastique, de la graphie mais aussi d’une poésie particulière et dont aujourd’hui on n’a peu d’exemples. La cartomancienne ne nous distribue, chez Jaco ou chez Ginette, que de bonnes cartes. Il nous reste bien sûr à en faire bon usage. Et surtout à ne pas hésiter - comme on dit dans le nord - de « descendre » à Montpellier pour rejoindre l’artiste afin de prendre un apéro avec elle. Sous son bleu de ciel le petit jaune est déjà servi.
Jean-Paul Gavard-Perret
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